lundi 8 septembre 2014

Première critique: "L'amant ténébreux"



Auteur: J.R. Ward
Éditeur: Milady
Collection: Bit Lit
Parution: le 10 juin 2010
Nombre de pages: 576 pages

Résumé :

Une guerre fait rage à l'insu des humains. Six vampires protègent leur espèce contre la Société des éradiqueurs. Ces guerriers sont regroupés au sein de la mystérieuse Confrérie de la dague noire. A sa tête, Kolher, leader charismatique et implacable... L'un de ses plus fidèles guerriers est assassiné, laissant derrière lui sa fille, une magnifique jeune femme, une sang-mêlé qui ignore tout de son destin. Et c'est à Kolher qu'il incombe de faire découvrir à Beth le monde mystérieux qui sera désormais le sien...

L’effervescence générale pour cette série m’a poussée, il y a de cela quelques temps, à lire le premier tome, afin de pouvoir comprendre cet engouement pour cette saga aux titres douteux. Une charmante dame, dont je tairais le nom, m’avait effectivement mis de côté « L’amant ténébreux », premier tome de la série « La confrérie de la dague noir » de J.R. Ward, connaissant mon intérêt pour la littérature Fantasy. Ne voulant pas vexer ladite dame, j’ai accepté le livre quelque part heureuse de ne pas avoir à le payer.

  Si je devais résumer ma lecture en quelques termes je dirais « littérature du fantasme pour bobonne frustrée ou misogyne pervers». En effet, l’histoire semble centrée sur la sexualité fiévreuse des deux personnages principaux, Beth et Kohler, qui dès leur première rencontre (après que le héros s’est introduit par effraction chez Beth) s’adonnent au plaisir de la chair, comme des bêtes en rut…. Et ce, dès le chapitre 8, lors de leur deuxième rencontre.

De mon point de vue, le roman tiendrait plus du fantasme de J.R. Ward, que d’une réelle histoire érotique… Il est possible que l’auteur écrive ses désirs inavoués comme exutoire à  l’esprit puritain du Massachussetts, dont elle est originaire. Le souci est de ne pas tomber dans le pornographique. La littérature érotique et les romans érotiques sont deux choses bien distinctes, et l’auteur ne semble pas avoir bien saisi la nuance. Cela se ressent notamment dans le lexique employé avec des termes comme « éjaculer », ou des tournures de phrases telles que « Son sexe était si brûlant et humide […] », « Il jouit violemment, la remplissant, allant et venant à l’intérieur d’elle, son orgasme n’en finissant pas, jusqu’à ce qu’il prenne conscience qu’elle jouissait en même temps que lui […] ». Ces passages sont trop explicites pour relever de la littérature érotique, tenant plus du pornographique douteux.  Le problème de ce genre de passages c’est qu’ils offrent une vision négative des relations hommes/ femmes, car ici le personnage de Beth n’est réduite qu’au statut d’objet sexuel. L’image des femmes  en prend un sacré coup ! Dans notre société contemporaine, où les femmes peine à détenir un statut égal à celui des hommes, ce genre de roman est très mal venu, car il ne fait que bafouer le combat de nombreuses militantes pour les droits des femmes. Je ne suis pas contre les femmes qui font de leur corps un moyen de gagner de l’argent. Je pars du principe que si c’est notre propre décision, c’est notre corps et ce qu’on en fait ne regarde que nous. Là où je suis totalement opposée c’est quand on délègue à un sexe plus d’importance qu’à un autre. Je prône l’égalité, et cette égalité passe par une image réaliste des femmes et des hommes en tant qu’égaux. Je parle de réalité car ces scènes de pur sexe ne reflètent pas la réalité. Qu’on ait envie de se donner à des relations intimes brutales en couples, d’accord. Mais quand on manque de se faire violer, s’adonner au plaisir de la chair avec un inconnu telle une chienne en chaleur, là je dis non.

Continuant sur le lexique, je m’attarderai également sur le champ lexical de l’argot. Il est possible que l’auteur ait voulu se donner un genre, livrer une ambiance plus sombre et brutale à son roman, le problème est qu’elle ne sait pas doser le vocabulaire qu’elle utilise. La redondance des jurons tels que « putain » ou « merde » ne sert juste qu’à renforcer le côté vulgaire et déplacé du roman. Pour moi, c’est dérangeant.

Maintenant, je veux bien émettre une petite réserve, car j’ai lu de nombreuses chroniques à propos de ce roman où on pointait la mauvaise traduction du livre, ce qui gâchait l’histoire.

Du point de vue des personnages, il y a également matière à critiquer. L’héroïne, même si l’auteur désir lui donner des airs de femme indépendante et téméraire, n’est finalement présentée que comme une nymphomane hystérique, guidée par ses pulsions. Cette jeune femme se fait agresser et presque violer au premier chapitre, mais se donne presque tout de suite à un parfait inconnu qui entre par effraction dans sa chambre. Cela n’a aucun sens ! Comme je l’ai dit précédemment,  personne ne s’enverrait en l’air avec un étranger le lendemain d’une agression sexuelle, il ne faut pas un diplôme en psychologie pour comprendre une telle chose, ça relève du bon sens.

Ici, un gros souci est la culture du viol, cette expression désigne une société dans laquelle la violence sexuelle est considérée comme la norme. Le fait que Beth s’abandonne à un inconnu qu’elle pense être venu pour la tuer, presque tout de suite après avoir manqué de se faire violer, et une grave banalisation des agressions sexuelles. Le viol est quelque chose de tristement célèbre dans notre société, qu’il ne faut surtout pas prendre à la légère. De ce fait, on en arrive plus généralement à une banalisation du harcèlement dans les rues. L’auteur aurait dû éviter de livrer une scène d’agression si elle tenait tant à ce passage torride lors de la rencontre « officielle » entre les deux protagonistes.

Outre cette culture du viol, un autre problème chez le personnage de Beth est son manque de réalité contemporaine. Beth représente la femme idéalisée : belle, sensuelle, désirable Je comprends qu’on veuille écrire et imaginer un tel personnage, c’est très attrayant. Le problème est qu’un des nombreux fléaux de notre société est le mal être des jeunes personnes débouchant très souvent sur des maladies telle que l’anorexie, la boulimie Certains peuvent penser que je vais chercher trop loin, que ce n’est que de la fiction, je peux le comprendre. Mais notre société délivre une image de La Femme mince voire maigre, belle, sensuelle,… Est-ce réellement ce qu’il se passe quotidiennement ? Nous sommes toutes différentes, certaines plus rondes que d’autre, moins belles, plus belles, charmantes, drôles, gentilles, candides, petites, grandes Ce n’est pas notre corps qui nous rend vraiment belle, mais ce qui nous caractérise, cette petite chose en plus qui nous distingue des autres. J.R. Ward ne donne pas à ses personnages cette petite chose en plus : ils n’ont aucune psychologie, aucune âme. Leurs atouts principaux ne sont quasiment tous que physique, et ça c’est dangereux. Quand on décide de prendre la plume, il faut garder à l’esprit qu’on est potentiellement à risque d’influencer le public. À travers ses écrits, un auteur fait passer un message, une façon de penser, une idée. Cette façon de penser ne doit pas détruire le lecteur à coup de préjugés et de stéréotypes, mais elle doit l’aider à se sentir pleinement lui-même, à le faire rêver. Le monde de l’imaginaire est certes vaste, mais ne doit pas franchir la limite de l’indécence. Beth est un stéréotype misogyne, ce qui est d’autant plus alarmant que l’auteur est une femme… Je me demande quelle image cette dame a de son propre sexe…

Quant à Kohler, le personnage « mâle » principal il représente juste une brute rustre et primaire guidé, lui aussi par ses pulsions. C’est un stéréotype pur et dur du macho, qui délivre une image fausse de ce qu’est un homme, un compagnon, pour les lectrices. Cette façon, parfois même pas détournée de prôner le machisme est profondément néfaste. Je peux comprendre le fantasme de certaines sur un homme un peu macho, « représentant le mâle alpha » mais il ne faut pas pousser le vice trop loin ! L’homme viril et fort face à la femme faible et fragile c’est bon pour le siècle passé, à notre époque je m’indigne de devoir encore lire de telles pensées.

Enfin, au sujet des personnages, je m’attarderai sur Marissa, la « Shellane » de Kohler. Pour moi, leur relation relève du syndrome de Stockholm : il la maltraite moralement, la dénigre, elle lui est indifférente Mais elle, elle en redemande, elle ne le quitte pas. Elle s’accroche à « leur relation » car elle est sa Shellane, sa compagne, car c’est ainsi. Elle reste fidèle à celui qui la fait souffrir, telle l’épouse battue qui refuse de quitter un mari violent : « S’ils avaient eu une relation normale, la question ne se serait pas même posée. Elle serait allée le retrouver pour tâcher de soulager sa peine. Elle lui aurait parlé, l’aurait pris dans ses bras ou aurait pleuré avec lui. L’aurait réchauffé de son corps. Aurait fait ce que les shellane font pour leur compagnon. Et reçoivent en retour ». Elle ne représente ni le courage ni la bravoure, à peine la loyauté. Est-ce cette image de femme faible et soumise qu’on doit délivrer au public actuellement ? Alimenter l’idée de la femme écrasée par l’homme est, je le redis, complètement déplacé et dangereux dans notre société.

Ce terme de « Shellane » est traduit comme « vampire femelle compagne d’un vampire mâle. En règle générale, les vampires femelles n’ont qu’un seul compagnon, en raison du caractère extrêmement possessif des vampires mâles. », cette définition alimente encore cette idée de réduction de la femme (femelle) face à l’homme (mâle). Je comprends que pour les besoins de sa mythologie du vampire, J.R. Ward tient à créer une terminologie forte et marquante afin de consolider son récit. Mais quand on utilise des créatures à visage humain, il faut s’attendre à une identification du lecteur vis-à-vis de tel ou tel personnage décrit. Personnellement j’ai dû mal à m’identifier à une compagne possédée par un mâle éclatant de testostérone. À l’inverse, « Hellren » désigne « le vampire mâle en couple avec un vampire femelle. Les vampires mâles peuvent avoir plusieurs compagnes ». Cette idée renvoie à la conception des mormons sur le statut de la femme inférieur à l’homme, ainsi que l’idée de couple que cette religion envisage. Le machisme des vampires mâles est démontré par leur extrême possessivité et la faiblesse des vampires femelles est, elle, livrée par la soumission à un seul mâle. Mais ce qui m’a le plus choqué est le terme des « Chaleurs » que l’auteur décrit comme « la période de fertilité des vampires femelles, d’une durée moyenne de deux jours, accompagnée d’intenses pulsions sexuelles. En règle générale, les chaleurs surviennent environ cinq ans après la transition d’un vampire femelle, puis une fois tous les dix ans. Tous les vampires mâles sont réceptifs à des degrés différents s’ils se trouvent à proximité d’un vampire femelle pendant cette période, qui peut s’avérer dangereuse, caractérisée par des conflits et des combats entre des mâles rivaux, surtout si le vampire femelle n’a pas de compagnon attitré ». Là on est clairement dans la fusion avec les animaux, la femme est la proie prête à être possédée par le premier Mâle venu. J’ai horreur de cette conception.


Ainsi, comme vous l’aurez compris, j’ai détesté cette lecture. Outre le problème du statut  des femmes jeté aux orties, l’auteur veut se donner un genre, utilisant des champs lexicaux qui se veulent accrocheurs mais qui, finalement, perturbent fortement la lecture. Ce roman est le récit d’une décadence sexuelle primant sur l’intrigue réelle du livre. La mythologie du vampire revisitée à l’époque contemporaine est mise à mal par le goût outrageant du sexe de l’auteur. 


Well